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rod-s
6.10.04
  Aparté : comment peut-on poster autant de choses intéressantes en une seule journée ?
Attention au surmenage, je ne voudrais pas qu'après moi d'autres blogueurs de talent finissent par tirer leur révérence






LES IDOLES N'EXISTENT PAS


 


Une solitude peuplée, voilà le sens de notre condition
sociale. Une solitude peuplée d'images. Voilà pourquoi

les hommes n'aiment guère quitter la ville. Il faut beaucoup d'abnégation
pour vivre ailleurs que dans le cercle.

Les sages qui y parviennent sont rayés des listes. On n'aime guère
les marginaux. Le sens commun, disait

Debussy, est une religion inventée pour excuser les imbéciles
d'être trop nombreux. C'est le sens commun

qui invente les dieux, les idoles, disons-nous aujourd'hui. L'homme contemporain
est manigancé selon les

canons d'une politique qui doit plus à la religion de l'image qu'à
Karl Marx. L'idole c'est d'abord une image,

c'est un trait, une figuration. Mme Garbo était une actrice. M. Aznavour
est une idole. Les idoles laides

sont plus rentables dans ce commerce misérable parce qu'elles répondent
mieux aux demandes du

voyeur commun qui se retrouve plus facilement dans un Aznavour que près
d'une Garbo.

Au fait, sans voyeur, pas d'idoles.


Ce n'est pas la plastique qui fait l'idole mais le potentiel
de désirs, d'inventions larvées au fond des lits songeurs,

c'est l'oeil qui fabrique l'image. Une idole mal rasée, les yeux cernés,
offerte comme sur une descente de lit,

est aussi efficiente que Mme Bardot tirée à quatre caméras.
Ce n'est donc plus tant la beauté qui compte mais

une certaine présence contrôlée par une firme de disques,
un éditeur de livres, un cartel de publicité.

Supprimez le tireur de ficelles : plus d'idole, rien. Pour être une
idole il faut, d'une façon ou d'une autre, être dans le

champ, sur les murs, il faut se donner. La prostitution ça n'est pas
seulement vendre son corps, c'est d'abord le

proposer. Le tic de langage qui se traduit par le mot pin up est intéressant
à tous égards. On dit d'une fille bien

balancée que c'est une pin up, alors qu'on devrait dire plus précisément
: c'est une épinglée. le critère de l'idolâtrie

c'est l'épingle. Trois phases : l'offertoire, la torture, l'exposition.
L'offertoire sur la scène, à l'écran de télévision,

dans les colonnes de "France-Dimanche". Comme à la foire,
on palpe, on discute, on prend. La torture

cela se passe après, quelquefois dans la rue - l'idole est objet public,
comme certaines filles - c'est le regard

possessif, l'oeil du maguignon. La torture est consommée, vite, par
l'autographe, ce don de l'écriture à défaut

d'autre chose. L'exposition, enfin, sur le mur de la chambre, l'épingle
qui tue l'idole. On a l'icône qu'on peut.



Juste le temps de se mettre un peu dans le sens de l'histoire,
et voilà qui surgit du plus profond de notre condition,

un catalogue d'idoles où les dieux le disputent aux ténors de
la politique ou de la cléricature. Si Johnny Hallyday

était prêtre, que d'encens dans les maisons les plus pasteurisées,
que de messes, que de prières, que d'indulgences

n'inventerait-on pas pour faire d'un chanteur de music-hall un nouveau Bouddha,
un Jésus aux bottes de cow-boy.


J'ai le temps nécessaire, juste le temps de rentrer ma
prière au fond de ma gorge et d'aller me gargarisant de

blasphèmes. Rien ne vaut rien. Aucun homme ne vaut aucune peine. La
prière, qu'elle monte d'un matin froid,

dans une église banale, ou qu'elle exsude d'une machine à musique
est une horreur d'indigence. De Gaulle, Paul VI,

Einstein, Sartre, Vartan, Brassens, Jazy... qu'est-ce que cela veut dire ?
Sartre dit que la littérature vacille devant

un homme qui a faim. Mais tout vacille, même devant l'homme repu. Alors
? Alors, crachons sur les idoles, de

toutes façons. J'enrage à la pensée d'imaginer un homme
se prosternant. Je me prosterne devant l'amour, tout juste.

J'aime sans plier jamais. On parle aujourd'hui des "idoles" comme
s'il s'agissait de calmants, d'excitants, de "gadgets"

de parapluies, de remèdes enfin contre l'ennui, les maux de dents,
les allocations familiales... Ca ne va pas ?

Achetez-moi donc l'idole du jour, de l'heure, le dernier disque de Machin,
et tout ira bien. Ecoutez Europe 1 et

vous saurez tout de cette nouvelle sociologie de l'adoration. Dans un café,
à Lyon, la fille de la maison me dit

sans rire : "Mon Johnny". C'est ici que je touche à
la seule vérité de l'idolâtrie contemporaine...


D'accord, je prends votre idole, je vous l'achète, mais
il faut qu'elle soit à moi, totalement, pas le disque,

mais la personne, la chose vivante que vous m'avez proposée et vendue
toute gravée dans la cire.

Il faut que je couche avec. C'est mon, c'est ma. Je n'ai pas
d'autel chez moi, alors, vous permettez ?

La photo et le transfert y suppléeront. Demain, je changerai. Tiens,
Zitrone ! Pourquoi pas ? Zitrone - Zeus...


Les idoles ne crèvent pas, on en change. Il est significatif
que notre époque soit une époque de "mots". Le mot

est devenu la clef de notre décrépitude, de nos angoisses, de
notre soumission au roi, au chef, à l'Etat.

Le mot idole a été réinventé par les marchands.
Il est repris à son compte par l'Etat. Regardez la télévision
:

les idoles font passer le temps et les mauvaises nouvelles. L'idole meuble
l'horaire quand il manque de fait divers.

Du temps de Rudolf Valentino, on ne parlait pas d'idole. Le fait passa comme
la gale. Aujourd'hui on ne se suicide

plus pour un Rudolf. L'idole est la dépendance d'un érotisme
à papier d'emballage. Cette fille de Lyon qui me parlait

de son Johnny, qui sait, la nuit venue, ce qu'elle fait de son autographe
épinglé ? Elle se signe, probablement.


La télévision est une mangeuse d'idoles. Une mante.
Passez à l'écran, sortez dans la rue : on vous demandera

de signer, signer... Les hommes doivent être bien malheureux qui s'en
vont chercher l'icône jusqu'aux cabinets.

Cabinet en vérité que cette télévision qui entre
chez vous à l'heure dite, qui vous mange l'oeil comme le serpent

mange l'oeil de l'oiseau. Ce sont tout de même ces "images"qui
font la pluie, le beau temps et les ventes dans les

kiosques. Quand il m'arrive de passer sur le petit écran je ne me dissocie
pas de ces guignols. J'en suis un moi aussi.


Au dehors, quand je "signe", je m'arrange toujours
pour supprimer le piédestal.


 


Je suis horrifié par les yeux en quête de chair
divine. Je laisse ça à l'eucharistie.

Je suis un homme comme vous, jeune homme !


C'est parce qu'il y a des images qu'on vous envoie dans l'oeil
à l'aide de cet autel électronique appelé télévision,


c'est pour cela et par cela qu'il y a et qu'on vous vend ce qu'on a convenu
de nommer les idoles. Avant cette

vente forcée de visages électrifiés, il n'y avait d'idoles
que dans les temples.


Les idoles qu'on nous propose sont des chagrins d'enfants sculptés
par des employés de commerce.

Les techniques d'information et de diffusion sont au service du raccourci.
Exclusif : Sylvie - Johnny. L'événement :

Bardot - Moreau. Elisabeth souffre en silence. Soraya sans Shah...
Les idoles se vendent deux francs, chaque

semaine. Nous vivons à 200 à l'heure. Nous aimons à 200
à l'heure. Nous mourrons bientôt de même.

Une revue comme Janus a éprouvé le besoin de faire une
enquête sur les idoles. Fait social ? Non.

Fabrique d'images pour yeux inertes. Quant aux yeux forcés, violés,
qu'ils se dépêchent de regarder ailleurs.

On se laisse prendre à ces serpents de malheur.


Des marchands inventent des besoins en même temps qu'ils
les satisfont. Le besoin d'idôlatrie ne va pas

sans le disque ou le journal et l'obstacle inclus que l'on doit vaincre. Mettez
un leurre dans la cage au rat :

le pauvre finira bien par se leurrer et l'oeil, objectif, derrière
la vitre, s'informera d'une particulière sociologie :

le réflexe conditionné... Les idoles n'existent pas, même
dans la cage au rat . Les idoles, ce sont les leurres.

Passez à côté. J'ai connu, je connais des hommes, des
femmes célèbres. J'ai vu Ravel, en 1933, dans une

salle de concert, à une répétition d'orchestre et Paul
Paray se tournant de temps à autre et lui disant :

"Maître.." Je le regardais. Il était petit, tout blanc
et ne ressemblait pas à sa musique.

J'ai vu, chez lui, en 1948, Fernand Léger devant un tableau d'une cruauté
mentale à me faire douter de mes

lunettes. Il me demanda ce que j'en pensais. Je reculai d'effroi et de lacheté.
Il est des gens qui mettent

Léger dans leur moulin à prières. Pour moi Léger
était gros et gentil. Il n'y a pas d'idoles. Non.

L'idolâtrie est littéraire ou imbécile. Il n' y a que
des hommes, et encore...


Il y a la vie, et puis la mort. C'est tout.


 


 


 


Cet article écrit par Léo a été
publié

dans la revue JANUS N°5

L'Homme et ses Idoles

Février -mars 1965


et repris

dans l'album

"Bobino 69"


 


 


 

 
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